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Charlène Descollonges, femme de ressources

Charlène Descollonges, femme de ressources

Le 17/07/2024

Rien ne se perd, tout se transforme ? Ce n’est pas totalement vrai avec le cycle de l’eau, surtout depuis que l’activité humaine l’a perturbé. L’hydrologue et militante Charlène Descollonges nous apprend que l’eau se perd, se déplace et surtout se gâche.
En cause, le changement climatique et des politiques absurdes. Pourtant, des solutions existent, comme l’hydrologie régénérative, notamment fondée sur… l’agriculture bio !

Rien ne se perd, tout se transforme ? Ce n’est pas totalement vrai avec le cycle de l’eau, surtout depuis que l’activité humaine l’a perturbé. L’hydrologue et militante Charlène Descollonges nous apprend que l’eau se perd, se déplace et surtout se gâche.  
En cause, le changement climatique et des politiques absurdes. Pourtant, des solutions existent, comme l’hydrologie régénérative, notamment fondée sur… l’agriculture bio !  
Propos recueillis par Gaïa Mugler 

BIO EXPRESS 

2016 Charlène Descollonges est diplômée d’un double master en hydrologie et ingénieure des mines.

2021 Elle démissionne de la fonction publique en Haute-Savoie, sa région natale, et se forme à l’agroécologie et à l’agriculture durable au CFPPA de Coutances (Manche). Elle accompagne les entreprises et collectivités déterminées à agir dans l’intérêt du cycle de l’eau, comme Biocoop.

2022 Elle fonde l’association Pour une hydrologie régénérative.  

 2023 Conférencière, notamment pour TEDx, elle est l’autrice de L’Eau, fake or not, Tana éditions. 

L’eau manque-t-elle vraiment, en France ?  
La France était en stress hydrique cet hiver. Ça peut être pire l’été, selon les régions, d’autant que l’eau prélevée pour irriguer les cultures ne retourne pas dans le système. 
 
Mais où disparaît donc l’eau ? 
Elle disparaît par évaporation puis est emportée ailleurs dans le monde par les courants atmosphériques. Depuis 2016, les sécheresses se succèdent, empêchant la recharge des nappes. Ces dernières devraient se remplir à nouveau l’hiver, quand la végétation entre en « hibernation » et cesse de pomper l’eau et de l’évapotranspirer. Le cycle de l’eau est aujourd’hui clairement perturbé. Notamment à cause de la couverture et de l’usage des sols. En agriculture par exemple, le remplacement des prairies naturelles par des monocultures de céréales modifie l’indice d’humidité des sols et l’eau « verte »*, évapotranspirée. Résultat, les flux et la répartition atmosphérique de l’eau et des précipitations sont transformés.  
 
Et la France a beaucoup canalisé ses cours d’eau…  
Oui, les hydrosystèmes ont été complètement artificialisés. Mettre en canaux les rivières appauvrit leur biodiversité et accélère les flux, donc les crues. On les a aussi rectifiées en supprimant les méandres, les bras morts, la ripisylve. Le rôle de la ripisylve était de tamponner les crues et permettre à l’eau d’une rivière de s’infiltrer dans les nappes.  
 
Que pensez-vous des cours d’eau qui disparaissent des cartes ?  
Plusieurs facteurs expliquent leur disparition : l’assèchement climatique et anthropique ** dû notamment à l’agriculture intensive qui draine les terrains. Les cours d’eau deviennent des fossés, ce qui permet alors à certains agriculteurs de se soustraire à la réglementation interdisant d’utiliser des pesticides dans un rayon de 10 à 25 m autour des cours d’eau.   
 
Les phénomènes de sécheresses et d’inondations risquent-ils de se multiplier ?  
Par cinq selon le Giec ! Une année comme 2022, avec un déficit de 20 à 40 % de pluie en France, sera la norme en 2050 si on suit les trajectoires à +4 °C, ce qui est le cas actuellement. Les pluies intenses causeront des crues au lieu de recharger les nappes. Il est urgent d’adapter notre agriculture et d’aménager le territoire.  
 
Il y a donc des pratiques agricoles à favoriser ?  
Oui. Pas facile avec la PAC qui privilégie l’agriculture intensive et conventionnelle. Les grandes monocultures favorisent l’érosion, le ruissellement, empêchent la recharge des nappes. À l’inverse, l’agriculture paysanne et agroécologique nourrit les sols, les rend vivants, structurés. L’eau peut alors s’infiltrer jusqu’aux nappes. Les deux autres problèmes sont la sylviculture intensive et l’urbanisation avec l’artificialisation des sols.  

Les conflits d’usage vont-ils s’intensifier ? 
Il y en a déjà dans certaines régions. La gouvernance de l’eau est une question démocratique. Elle devrait être bien plus large que les comités sécheresse actuels. Il faudrait y associer l’ensemble du vivant parce que les représentants des intérêts de la rivière et des autres-qu’humains n’y existent pas ou trop peu. La priorité est donnée à l’eau potable, mais sans distinction d’usages (boire ou arroser son golf). L’agriculture reste le plus gros consommateur estival. L’irrigation représente 58 % des consommations totales en France.Promouvoir un modèle agricole moins dépendant de l’irrigation est primordial, tout en prenant garde aux maladaptations comme les retenues de substitution, les mégabassines.  
 
Pourquoi les mégabassines ne sont-elles pas une bonne solution ?  
Le principe consiste à prélever dans la nappe une eau fraîche et pure et à la stocker en surface, où elle sera soumise à évaporation, réchauffement, développement algal et bactérien ! Sans compter le risque d’effet rebond : les mégabassines encouragent le maintien d’un modèle extractiviste ***, gourmand en eau, intrants, etc. Ça empêche la transition et c’est à contresens de la sobriété. Et on risque de déconnecter la nappe de son cours d’eau : il n’existe pas d’études sur l’impact cumulé des retenues.  
 

Quelles sont les autres maladaptations des politiques publiques ?  
En France, les réponses apportées par le gouvernement via le plan Eau et les nouvelles directives sont des solutions technologiques. Et la variété des besoins, des usages n’est pas interrogée. Le président de la République fait preuve d’antagonisme en annonçant de la sobriété, mais en ne parlant pas du tout d’agriculture ! Le plan Eau prévoit de beaucoup investir dans la réutilisation des eaux usées traitées. Or, il ne sera pas possible de le faire partout, c’est coûteux, énergivore et ça ne bénéficie qu’à une part des usages… L’argent aurait pu être utilisé pour changer de modèle agricole et pour l’hydrologie restaurative.  
 
Les petits gestes sont-ils utiles ou faut-il changer d’échelle ?  
Les deux. Les écogestes sont puissants quand tout le monde s’y met. Mais il ne faut pas s’arrêter là. L’alimentation est fondamentale aussi. Sans quoi, on ne fait que déplacer le problème en attendant qu’il revienne en boomerang.  

Pourquoi ?  
L’empreinte eau quotidienne d’un Français est de l’ordre de 5 000 l par jour. Elle est à 85 % liée à notre alimentation, à l’agriculture. Il y a aussi les flux d’eau importés via des produits comme la banane, le cacao, etc. La France dépend des ressources, des pluies et rivières des autres pays, or, on a invisibilisé l’eau mondialisée. Il faudrait relocaliser au maximum et favoriser une agriculture bio, paysanne, avec le moins de travail du sol possible.  
 
D’autres solutions ? 
L’hydrologie régénérative, objet de l’association que j’ai créé en 2022. En trois mots, c’est : eau, sols, arbres. L’idée est de ralentir les eaux pour qu’elles s’infiltrent doucement en travaillant sur le paysage, en créant des fossés, des mares, et aussi de recréer des systèmes agrobocagers. Le deuxième axe est d’augmenter les sols couverts, organiques, qui feront éponge, via l’agroécologie. Le troisième regarde les arbres, ces ascenseurs hydrauliques. On s’intéresse à l’agriculture, l’aménagement du territoire et la gestion des rivières. Des projets pilotes vont se lancer dans la Drôme, l’Ardèche, l’Ain et la Haute-Savoie. Notre association y accompagne des collectivités qui nous permettent d’expérimenter. Nous espérons pouvoir voir se multiplier ces initiatives.  
 

Quel est l’impact sur les cours d’eau du choix du nucléaire en France ? 

Il y a plusieurs menaces parce qu’il y a plusieurs types de centrale. Celles en circuit ouvert, concentrées, qui pompent beaucoup d’eau et la rejettent après l’avoir réchauffée d’environ 4 °C plus chaude. Et celles en circuit fermé, la majorité, qui prélèvent de l’eau et en rejette 30 à 50 % par évaporation. Nous n’aurons pas toujours indéfiniment de l’eau aussi fraîche ni en abondance, puisque les glaciers fondent et les débits baissent. On ne peut plus dire que l’énergie nucléaire est pilotable puisque, de plus en plus, les centrales devront sans doute s’arrêter l’été. Soit par manque de débit d’eau, pour les circuits fermés, soit à cause de la température de l’eau, pour les ouverts. C’était déjà le cas en 2022 et 2023, sur le Rhône, les centrales n’auraient pas dû fonctionner au vu de la température de rejet de l’eau, ce qui a un impact sur le milieu aquatique, mais elles ont obtenu des dérogations ! Les centrales de littoral, elles, sont menacées par la montée des eaux. Les eaux salées s’infiltrent dans les nappes, les contaminent. Ça va poser la question du partage : eau pour boire ou pour refroidir nos centrales ? Et pendant ce temps, on projette de nouveaux EPR…

 

Comment gérer un bien commun tel que l’eau ?

Le système de gouvernance de l’eau en France est très robuste et a inspiré d’autres pays, depuis 1964. Des agences de l’eau ont été créées autour des six grands fleuves. Il existe même des comités frontaliers. Le premier objectif était de dépolluer. Il faut désormais aller beaucoup plus loin. Il faut partir de l'échelle internationale, avec les COP – on attend toujours la COP eau d’ailleurs – et descendre au plus petit échelon, celui de la commune. Les maires peuvent siéger dans les commissions locales de l’eau, les comités sécheresse, qui se déclinent à l’échelle du bassin versant. Ce sont ces comités qui font le choix de la priorisation des usages aujourd’hui.

 

Un bassin versant ?

C’est une cuvette qui est délimitée par les reliefs et qui concentre toutes les eaux de ruissellement vers les cours d’eau. Au sein des  six grands bassins versants, il y a les sous-bassins versants. Il faut descendre à cette échelle, où on a les comités sécheresse. Il faudrait aller beaucoup plus loin pour pouvoir représenter les intérêts de la rivière. Je milite pour que les rivières et fleuves aient une entité juridique****.


Quel a été votre déclic militant ?  
J’étais ingénieure fonctionnaire. Avec des devoirs de réserve. Et j’ai vu des choses, qui m’ont mise en colère. Notamment le développement des retenues pour la neige de culture en montagne, des centrales hydroélectriques perturbant la vie aquatique. J’avais beau alerter, rien ! J’ai démissionné, me suis formée en agriculture et je suis devenue indépendante. Ça a eu un coût, je me suis sentie très seule. Mon livre m’a aidée à me faire entendre. Désormais, je peux travailler avec ceux qui veulent transformer le modèle, et plus encore avec ceux qui veulent le conserver ! 

Pour vous rejoindre, on lit votre livre, on rejoint l’asso, on mange bio et… ?

On garde la pêche, on s’entraide ! C’est important de se régénérer soi-même, pour régénérer le reste. –

* Eau dans les sols et la biomasse a contrario de l’eau « bleue », les cours d’eau, nappes, les lacs... 
** Qui relève de l’activité humaine.  
*** Le modèle agricole industriel repose sur l’extraction d’énergies fossiles et aussi ici d’eau stockée dans les profondeurs. 


Si vous étiez…
… Un cours d’eau ?
La Seine, qui a sa déesse de l’eau, Sequana : j’aimerais pouvoir incarner la question de l’eau. Et elle a un grand potentiel de régénération.  

… Un son ?
Celui des torrents de montagne à la fonte des neiges. C’est beau, c’est vivant et ça fait du bruit !

… un animal aquatique ?
La si vive truite fario, qui remonte les cours d’eau jusqu’en Haute-Savoie et aime les milieux oxygénés. 

… Une plante aquatique ? 
Le roseau. Le paradis égyptien en est pavé. Il épure les cours d’eau, abrite de nombreuses espèces animales. 

… autre chose qu’hydrologue ?
Agricultrice, pour nourrir la terre et les humains.

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